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MITTERRAND (François) 1916-1996

           Il disait toujours vouloir «garder les mains libres». Jusque dans son dernier face-à-face avec la mort, il aura tenté de forcer le destin sans rien céder de son libre arbitre.
           S’il n’a pas décidé de l’heure exacte de sa mort, François Mitterrand, qui souffrait d’un cancer depuis une quinzaine d’années, l’avait en tout cas programmée. Une semaine avant de rendre son dernier soupir, le 8 janvier 1996, au petit matin, l’ancien président avait décidé de ne plus s’alimenter et de refuser tous les médicaments. Il a vu sa fin venir; il l’a même sollicitée.
           Ce dernier acte résume bien la vie de François Mitterrand, où les défis succèdent sans cesse aux refus. Certes, les biographes ont tendance à se perdre quand ils tentent de suivre son parcours, qui tient davantage du labyrinthe que de la ligne droite. Cet esprit romanesque se plaît dans les faux-fuyants et adore brouiller les pistes. Artiste de la politique, il est éminemment baroque. C’est toujours quand on croit l’avoir saisi qu’on cesse de le comprendre. Mais il y a chez lui une constante, qui donne un fil à son histoire: sa volonté de ne se laisser dicter sa loi par rien, ni personne.
           «On ne peut juger un destin que quand le point final a été mis», disait-il souvent, en réponse à ses détracteurs. François Mitterrand glosait volontiers sur l’unité de son parcours. C’est ce qui l’a amené à romancer sa vie. De même qu’il admettait rarement s’être trompé, il ne souffrait pas que l’on rappelle ses évolutions ou ses métamorphoses. Il est pourtant clair que, en cinquante ans de carrière politique, cet homme ne fut pas à un zigzag près.
           Né à Jarnac (Charente) le 26 octobre 1916, François Maurice Adrien Marie Mitterrand a grandi dans un univers bourgeois, catholique et provincial. Son père est un ancien chef de gare qui a repris la vinaigrerie familiale; un notable. Donnant raison à ce déterminisme social qu’il exécrera tant par la suite, le jeune François suit tranquillement l’itinéraire que lui commande son milieu. Il étudie à Paris la littérature et le droit, est élève à l’École libre des sciences politiques, devient Volontaire national dans le mouvement de jeunes du colonel de La Rocque qui prône un exécutif fort et se situe à l’extrême de la droite.
           Contrairement à la légende qu’il a contribué à fabriquer, François Mitterrand est un étudiant politisé, qui ne répugne pas à participer aux manifestations contre les «métèques». Il n’est ni fasciste ni antisémite. Il reste profondément littéraire, comme le montrent ses textes sur Mauriac, Gide ou Montherlant. Mais sa pente l’entraîne à la droite de la droite.
           C’est ainsi qu’après son évasion des camps allemands de prisonniers, en décembre 1941, François Mitterrand travaille à Vichy, pour l’État français. Il est chef de la section presse du Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre du début de 1942 à celui de 1943. Le jeune homme est acquis à la cause de Philippe Pétain, dans les premiers mois. «Maréchaliste», comme on disait alors, il est convaincu que le vainqueur de Verdun reste le meilleur rempart contre l’hégémonisme allemand.
           À moins de falsifier l’histoire, on ne saurait le ranger parmi les collaborateurs. Il commence à regarder du côté de la Résistance dès la Pentecôte de 1942, après avoir rencontré au château de Montmaur, dans les Hautes-Alpes, un groupe d’hommes qui sont en train de basculer. Tout en pratiquant le double jeu, il évolue lentement, mais sûrement. Il n’est certes pas l’un des premiers à entrer en dissidence, mais il n’est pas non plus l’un des derniers.
           En 1943, après avoir été décoré de la francisque, hochet réservé aux meilleurs serviteurs du maréchal Pétain, François Mitterrand entre officiellement dans la Résistance à la fin de l’année, et se rend à Londres puis à Alger. Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle qui, dès leur première rencontre, le juge sévèrement, lui rend néanmoins hommage et le cite parmi ceux qui, de l’intérieur des frontières, informaient la France libre. Le Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés, qu’il animait, a été homologué, dès 1948, comme «appartenant à la Résistance intérieure française».
           La guerre l’a transfiguré. Sa fréquentation des communistes et des socialistes dans les camps puis dans la Résistance a laissé des traces profondes. À la Libération, François Mitterrand est très à gauche. Pour un peu, il prônerait la révolution. En 1945, dans une lettre à Georges Dayan, son meilleur ami, il écrit: «Mon idéal est pour l’unité ouvrière et restera fidèle à sa prise du pouvoir.»
           Les années suivantes, pourtant, François Mitterrand s’en va naviguer sans hésiter dans les eaux du centre gauche, ce qui lui permet d’être onze fois ministre sous la IVe République. Alors que les gouvernements valsent, il fait partie des meubles; c’est un cacique du système. Peut-être le serait-il resté si l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, en 1958, n’avait tout bousculé en le précipitant dans l’opposition, c’est-à-dire la gauche.
           Comprenant les effets du nouveau mode de scrutin institué par le référendum d’octobre 1962 et qu’il avait combattu, François Mitterrand n’a guère attendu le moment de devenir, devant le suffrage universel, le représentant de la gauche contre le général de Gaulle, à l’élection présidentielle de 1965. Dès lors, tout s’est enchaîné et, après avoir conquis le Parti socialiste au congrès d’Épinay, en 1971, il est rapidement apparu comme le chef d’une opposition qu’il allait en dix ans porter au pouvoir .
           La gauche s’est ainsi donnée à un esthète du pouvoir, qui n’était jamais dénué d’orgueil et préférait s’édifier un destin personnel plutôt que d’incarner une volonté collective. C’est ce qui explique en partie le désenchantement qui apparut, chez ses anciens fidèles, au couchant de son règne.
           Le bilan des deux septennats (1981-1995) n’aura pourtant pas été négatif pour la gauche. L’ancien président l’a réconciliée avec l’économie de marché. Il lui a fait partager un engagement européen dont la sincérité ne pouvait être mise en doute. Alors qu’elle n’avait fait jusque-là que passer dans l’histoire de France, il lui a donné la durée et lui a appris à gérer.
           François Mitterrand a finalement éteint les braises de la Révolution de 1789, mis un terme à ce qu’on appelait l’«exception française» et pacifié le pays en l’habituant à l’alternance.Avec lui les Français ont appris que la démocratie a besoin de deux jambes pour avancer; une droite et une gauche.



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